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IV

Les jours passèrent, — mais il ne passèrent plus pour Allan à l’ombre furtive du jardin, au pied des saules, ou sur les bords lointains de la rivière, théâtres favoris de ses promenades pendant que le salon de la comtesse de Scudemor exhalait la joie, les rires et les propos des femmes rassemblées. Il était sûr d’être vu par Elle maintenant ! d’être deviné dans toutes ses pensées, à chaque instant donné. L’irritation contre la femme aimée, cette injustice qui tient aux racines mêmes du sentiment qu’on éprouve parce que ce sentiment n’est pas soupçonné, ce démenti perpétuel donné par celle qui l’enflamme au désir idéalisateur de son image, ne le chassaient plus du salon avec ce dépit concentré, aigreur de la passion cachée. Ce sont toujours des passions blessées qui nous poussent à la solitude. Âme de Timon ou de la Vallière, la créature humaine ne se rejette à la solitude que quand les hommes l’ont repoussée. Sans l’égoïsme d’une passion quelconque, nul d’entre nous n’irait livrer sa vie à cette maîtresse de Raphaël qui tue, mais pas comme l’autre, car elle n’a pas même de semblants d’amour à donner. Nul ne reposerait sa lassitude sur le sein perfide de cet ami, subtil Iago retrouvé toujours dans les parties