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sement autour de sa tête ! et que j’ai pensé en les regardant, sans mieux la comprendre, à l’inégalité des destinées !

« Mais, vous l’avouerai-je, mon cher André ? cette générosité qui avait ses hauts et ses bas, ses bons et ses mauvais jours, n’avait pas sur ma vie le même empire que la pitié sur celle d’Yseult. En ceci l’homme est inférieur à la femme. Qui sait même si j’en eusse été capable, avant l’accouchement de Camille et le changement qui se fit en elle vers cette époque ? Elle me donna une fille que j’appelai Marie, et qui ressemblait extrêmement de traits et de forme à la fille que j’avais d’Yseult. Cette ressemblance étonnante vous pouvez en juger, mon ami, car les dix-huit mois qui viennent de s’écouler l’ont précisée davantage. Deux jumelles ne se ressembleraient pas plus que ces deux fillettes et on les confondrait — même moi et Camille — l’une avec l’autre, sans une marque de la nature qui n’a pas permis que nous puissions nous y tromper. Elle a fait naître la fille d’Yseult avec des cheveux blancs, signe laissé sur son front de la vieillesse de sa mère. On avait cru qu’ils blondiraient, ces cheveux naissants, mais à leurs anneaux longs, épais, et pleins de sève et d’énergie, on sent qu’ils ne blondiront pas. Neige tombée sur ce printemps en fleur, qui ne fondra pas où elle est tombée ! Quand Camille aperçut pour la première fois, sur ce pauvre petit front ingénu, ces cheveux innocemment accusateurs qui lui rappelaient des souvenirs terribles, l’infortunée s’en détourna avec une horreur convulsive. Elle la garda longtemps, cette horreur. Mais un jour, — au prix de quels efforts ? — elle est parvenue à la vaincre. Jamais ni vous ni votre Paule, Albany, ne vous êtes aperçus que Camille baisait avec moins de tendresse la tête blanche que la tête dorée. Jamais vous