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sommes tous, quand nous souffrons ! Si elle se décidait à aller vous voir, vous et Paule, je ne doute pas que la vue de votre bonheur domestique ne la replongeât dons les plus horribles angoisses. Moi qui n’aime plus et qui m’efforce d’être austère, Albany, quand je vais vous voir, savez-vous que je ne vous quitte pas sans trouble ? Il y a dans cette union du mariage, dans la contemplation la plus fugitive des surfaces de l’amour heureux, quelque chose qui parle aux désirs trompés une langue éloquente et sacrée. On les réveille et ils vous déchirent, vous, leur vieille pâture, comme si vous étiez une proie nouvelle à tuer encore.

« Pas un détail physique alors qui ne soit redoutable ! Pas un qui ne soit une occasion de douleurs ! Chez vous, Albany, tout est pur, tout est calme, tout respire la paix dans la tendresse, tout s’harmonise avec votre amour. Quand je m’en approche et que j’ai franchi cette porte dont le marteau reluit au soleil, et qui n’a jamais pesé à la main de l’homme qui demande un asile ; quand je suis passé entre ces deux pilastres où sont assises, sculptées avec leur svelte corsage et leur museau effilé au vent, les deux blanches levrettes, symboles de fidélité et de vigilance, il me semble déjà que le ciel est plus bleu et l’air plus doux qu’au château des Saules. Cette chaste et élégante demeure est si simple, si petite, si gracieuse avec ces vignes ambrées qui serpentent alentour comme une écharpe pleine de caprices, que le cœur s’y presse en lui-même et s’y tapit pour être heureux. On sent là que la vie est bien close et doit l’être, pour que rien n’en échappe à ceux qui jouissent de ses douceurs, semblable au ruisseau de dessous vos figuiers dont les larges feuilles le protègent avec jalousie comme si le ciel, en s’y mirant, pouvait en dérober un peu ! Et si on monte