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le pied qui brûle, et son empreinte qui ne froidit pas ! Je savais bien que tout était fini sans ressource. Je n’aurais pas voulu qu’il en eût été autrement, et cependant revenaient comme à la charge dans ma pensée tous les détails de ces temps d’une volupté torréfiante et anéantie, et qui, eux, en réalité, ne reviendraient jamais ! Et cependant l’imagination, par laquelle j’avais vécu avec tant d’énergie, me poursuivait de ses tableaux comme pour me dire : « Tout ce qui n’est pas moi est néant ! » Mal des passions ! mal inévitable ! On ne l’éprouve plus. On en est guéri et c’est bien. L’âme a cessé d’être active de cette activité absorbante dans laquelle la vie s’est perdue sans qu’on la regrette, et Dieu a dit que tout ce bonheur serait bien court, — et la mémoire que l’homme doit en garder infinie !

« Ils proclamaient que j’étais né poète. Le fait est que l’imagination était la seule faculté développée en moi. Je lui livrai plus d’une bataille. Si c’est là être philosophe, j’accepte le titre ou l’injure. Je sentais bien, d’ailleurs, que je ne pouvais être que cela. Quand on a été heureux par l’âme, c’est une fatalité, l’âme reste dans toutes vos pensées et toujours, toujours, on lui demande pourquoi il se fait qu’on n’est plus heureux jamais par elle ! Joie et souffrance sont des mystères qu’on ne peut s’empêcher de sonder quand on les a éprouvées. Alors il n’y a plus que l’homme intérieur qui intéresse, et la réflexion ne saurait se détourner du dedans de nous.

« Comme tous ceux qui ont goûté du fruit de l’arbre des passions, comme tous ceux qui ont connu les songes enivrants sous ce mancenillier funeste, je ne m’émeuvais d’aucun des buts extérieurs de la vie et je répondais à tous