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ser ainsi ; mais le désespoir n’exagère-t-il pas comme l’espérance ? Elle ne savait pas qu’il y avait une vie dévorée plus vite que la sienne, — la vie de celui qui l’aurait regardé mourir !

« Je dois vous l’avouer, Albany, cette mort a eu sur moi une formidable influence. Peut-être eussé-je repris goût aux décevantes joies du cœur et redemandé à la jeunesse des illusions dont il est si rare de vouloir guérir, quoiqu’elles tuent, mais les derniers instants d’Yseult ont supprimé même les plus vagues appétits qui vivaient, à mon insu, au plus ignoré de mon cœur. Jusque là j’avais été un homme passionné, — passionné comme cette femme malheureuse, qui, la passion morte, n’avait pu rien être après. Je l’entendais me demander ce qui pouvait diriger la vie, puisque la bonté de l’âme, cette pitié qu’elle croyait sublime, voilà qu’elle ne lui suffisait plus pour s’absoudre. Et moi, je ne répondais pas à ce doute, à cette ignorance cherchant à mains acharnées à se prendre dans le vide immense… Je ne répondais pas, mais j’entrevoyais… Il se passait dans mon âme — et pour la première fois ! — une étrange chose. Savez-vous ce que c’était, Albany ? C’était l’intuition du devoir.

« Mon ami, je pris rang d’homme de ce jour. Mais cette idée, qui avait germé dans mon âme à la voix découragée d’Yseult, je ne l’en tirai pas pour la lui donner. Je gardai la réponse à la question désolante et mille fois répétée. L’aurait-elle comprise si je l’eusse laissée échapper ? Et si elle ne l’avait pas aveuglément repoussée, n’en eût-elle pas été déchirée comme d’un froid et tranchant acier ?… Le mal était irrémédiable. Je me tus, et la laissai crier et mourir. Depuis, je me suis reproché cette conduite. Dans le