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ce moment solennel, comme par une intuition subite, quelle doit être l’austérité de l’existence ! Ainsi, l’homme reprenait sa place, pendant que la femme mourait à la sienne…

Il lui prenait la main en silence, et souhaitait pour elle que la mort, dont son visage portait l’empreinte, vînt finir des souffrances morales pour lesquelles il ne connaissait plus de soulagement. Yseult avait roulé sur son lit dans l’agitation de ses dernières paroles. Sa voix s’attachait de plus en plus à son gosier. L’œil avait fui sous sa paupière. Une roideur convulsive tendait ses membres à les déchirer, et, du sein de cette cruelle agonie, elle disait encore :

— Eh bien ! je revivrais ma vie que cette pitié deux fois maudite, inutile pour ceux à qui elle se sacrifie, vide de la sainteté du plus simple devoir pour ceux qui l’éprouvent, que cette pitié involontaire serait obéie et que j’encourrais de nouveau mon mépris ! Oui, Dieu me dirait : « Voilà le but que tu ignores », et dans sa miséricorde infinie il le mettrait à la portée de ma main, que je n’écouterais pas Dieu lui-même et que je me précipiterais comme une folle dans cette pitié qui n’est pas une vertu, et qui fut seulement la mienne. Ô femmes ! que sommes-nous, puisque nous ne nous corrigeons pas de nos faiblesses ? Nous nous méprisons, et nous ne nous repentons pas !

Sa voix se perdit dans ces derniers mots. Sa respiration devint muette… Le silence du dehors envahit la chambre. L’enfant même, sur le canapé, reposait d’un sommeil paisible. Allan était debout auprès du lit funèbre, comme un prêtre ; mais il est des âmes qu’on n’assiste pas et pour qui toutes les religions humaines, amour, amitié, respect, souvenir, sont impuissantes comme la religion même de Dieu. Tantôt il attachait ses yeux sur cette tête livide où cou-