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le passé, jusque-là mal jugé par nous. Depuis trois jours vous m’avez crue accablée, et je repassais au dedans de moi ma vie entière. Cette vie n’a pas trouvé grâce devant moi. Il n’y a pas un des faits de cette misérable vie qui soit sain et sauf de mon mépris. En vain, dans l’amour comme après l’amour, me suis-je toujours sacrifiée. En vain ai-je été bonne encore quand je ne pouvais être aimante. Ce n’était pas assez que cette bonté d’instinct qui décidait de mes résolutions. Ah ! sans doute il y a quelque chose de plus parfait que de pareils sacrifices, puisque de pareils sacrifices ne nous absolvent pas à nos propres yeux !

Mais quoi ? quoi encore ? — répétait-elle avec une anxiété pensive, sans grands tourments mais bien touchante, laissant sa main dans celle d’Allan et ne regardant plus que dans son âme avec ses yeux fixes. — Comment s’appelle ce but manqué, qu’on a cherché et qu’on avait cru atteint depuis si longtemps ? Est-ce une ironie du sort ? Un châtiment de la Providence ? Dites-nous lequel est moqueur ou stupide ! Ah ! c’est moi qui blasphème et non pas lui, car il y a un monde de pécheurs — comme disent ceux qui croient — réconciliés avec eux-mêmes, des âmes qui se croient pardonnées dans leur cœur, des créatures réfugiées et tranquilles dans la loyauté de leurs intentions. Il y en a. J’ai un jour compté parmi elles, quand la pitié m’entraînait comme l’amour m’avait entraînée, quand la fierté était immolée chaque fois que s’offrait une douleur à apaiser. J’ai connu cette paix qui me fuit… et si, aujourd’hui, elle m’abandonne, est-ce donc que mourir m’a frappée d’une imbécillité nouvelle ?

Ô Allan ! il est des mystères dans lesquels la pensée de l’homme jette sa sonde, mais, femme, je n’ai rien sondé, rien