Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le mouvement qu’elle avait fait pour soulever son enfant. Ses cheveux, si longs et si épais dont la luisante noirceur s’était évanouie sous les grandes et inflexibles pâleurs de l’âge, qui montent plus haut que le front envahi, ses cheveux, gris comme un crépuscule, retombaient mélancoliquement sur ses épaules comme s’ils avaient pleuré sur elle !

— Bientôt elle se passera de moi, — disait-elle à Allan en lui montrant l’enfant pendant à sa mamelle flétrie. — Dans deux ou trois jours vous irez la porter à quelque nourrice des environs qui aura mieux à lui donner qu’un lait rare dans un sein tari. Vous veillerez sur elle, Allan, car vous l’aimez déjà, je le vois, et puissiez-vous lui conserver longtemps cet amour.

— Croyez-vous — lui disait Allan — qu’on puisse se détacher de son enfant, quand on a commencé de l’aimer ?…

— On se détache de tout, mon fils, — lui répondait-elle. — J’ai commencé par aimer Camille. Elle ne fut point le fruit d’une volupté solitaire. Le père de Camille fut aimé de moi. Mais un dernier amour, plus dévorant que tous les autres, me fit maudire le jour où Camille était née. Savez-vous que souvent, avec Octave, quand il me disait de ces mille choses qui ne sont rien et qui sont tout et qui composent l’intimité de la vie, et que je le voyais rouler ses doigts dans les cheveux de ma fille, il fallait que je luttasse abominablement contre moi-même pour ne pas briser sa tête innocente sur le pavé. Depuis, quand mon amour pour Octave mourut comme les autres, je vous l’ai dit, toute ma puissance d’aimer était anéantie ; mais ne l’aurait-elle pas été, l’affection n’est pas une chaîne que l’on puisse rompre et reprendre. Je vous en atteste, vous, Allan, qui