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enceinte de l’enfant qu’elle a dans son sein entre deux baisers et en se servant des appellations charmantes de ces familiarités divines. Allan en parlait comme un étranger de bon goût. Camille, à qui toutes les décisions étaient indifférentes depuis qu’elle avait découvert que son mari ne l’aimait plus, eut l’air de trouver cette conduite fort simple et ne hasarda pas une question. Peut-être l’infortunée pensa-t-elle que pendant les nuits solitaires elle serait plus libre de pleurer.

Allan consacra donc les siennes à Yseult. Il veillait dans cette chambre de malade comme s’il n’avait pas été un homme, mais une tendre femme. Il est vrai qu’il pouvait jouir à l’aise de l’ivresse d’être père. Le poids de sa fille sur ses genoux allégeait bien des fatigues. La pitié que lui inspirait Yseult se perdait dans les contemplations muettes et incessantes de la petite créature, et sa mère était oubliée. Le dernier sentiment de l’homme qui l’avait aimée était arraché à Yseult par son enfant. Plus d’une fois, du lit où elle gisait, en le voyant au reflet de la braise du foyer penché sur le front de l’enfant endormie, cette idée lui vint et elle n’en soupira même pas.

La fille d’Yseult écumait de vie. Elle était de la forte race de sa mère. — « Et toi aussi, — lui dit-elle un soir, l’entourant de ses langes, — la douleur ne te brisera pas en un jour ! » Allan admirait la beauté de sa fille, car déjà on pouvait deviner qu’elle serait belle, comme toutes celles (loi mystérieuse !) qui sortent d’unions furtives et coupables ! Pourquoi donc ce que les hommes flétrissent produit-il ce qu’il y a de plus beau ici-bas ? Allan était à genoux sur le tapis, au bord du lit de madame de Scudemor. Le châle qui enveloppait les cheveux d’Yseult venait de se dénouer