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XIX

Le jour commençait à s’élever et l’orage avait versé sa dernière ondée. Une lumière rose envahissait le ciel du côté opposé au soleil, qui montrait la moitié de son globe à l’horizon. Quelques nuages, emportés par un vent frais, laissaient échapper de leurs flancs de vagues et lointaines résonnances, — comme, après que la peine est passée, il nous reste encore des soupirs. Sur la route de Sainte-Mère-Église les épis, gros de pluie, étincelaient aux premiers rayons du soleil et formaient comme un océan de lumière qui rit dans les ondulations de ses vagues. La nature ressemblait à une femme, au sortir du bain, qui tord dans la paume de ses mains contractées ses cheveux, trempés encore d’écume, et qui les égoutte. Les parfums du thym et du serpolet des fossés se fondaient mieux dans l’air, vivifié par l’orage. À cette heure matinale où le son a une portée plus grande encore peut-être que dans la nuit, on entendait chanter les coqs des habitations les plus éloignées. Le mendiant — ce nomade d’une civilisation impuissante — quittait la grange où la veille on lui avait donné asile, fermait sans bruit la barrière de la cour des fermes et s’éloignait sur la route, dont la pluie avait foncé la teinte rou-