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inquiétude… Tout à coup, voilà qu’il s’arrête, comme frappé d’une idée subite. Un découragement l’a saisi. Il regarde Allan d’un air sinistre et fait un pas pour l’entraîner hors de la portée de l’oreille d’Yseult. « Je vous entends, Monsieur, — dit Allan, — s’il n’y a qu’un parti à prendre, tuez l’enfant et sauvez la mère ! »

Mais Yseult était déjà dressée du milieu des couvertures sanglantes où elle gisait, pâle et inanimée. Elle en avait trouvé la force ! « C’est moi. Monsieur, qui dois mourir ! » s’écria-t-elle, et son action était impétueuse et son front s’était éclairé d’une joie soudaine. Elle retomba et elle répéta encore : « C’est moi qui dois mourir ! » avec insistance. — « C’est le cri de la mère », dit à Allan le médecin, abusé par cette étonnante énergie dans le brisement universel des organes. Pauvre homme, qui ne voyait pas plus loin que le sentiment maternel ! Hélas ! c’était le cri de la malheureuse ! Pour Allan, ce cri résumait toute une vie. Il n’eut pas le courage de s’opposer au désir d’Yseult. Il ne se crut pas le droit de lui ôter ce dernier espoir de délivrance. Peut-être pensa-t-il aussi à son enfant. Quoiqu’il en soit, il répondit au médecin qui du regard l’interrogeait encore :

— Faites comme elle veut, Monsieur ! — Et il se cacha le visage dans ses deux mains.

Le médecin se recueillit un instant, puis, comme chaque moment perdu exposait deux vies au lieu d’une, il se remit à agir. Cela dura longtemps. Mais enfin l’enfant jaillit, dans un flot du sang de sa mère.

Elle s’était évanouie tout à fait. Allan, dont les sensations étaient inexprimables, reçut avec un visage qu’il s’efforçait de rendre calme cet enfant qui était le sien et qu’il n’osait