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Les prévisions de madame de Scudemor ne l’avaient pas trompée. L’accouchement menaçait d’être excessivement dangereux. Il fallut employer le forceps.

Un frissonnement nerveux s’empara d’Allan appuyé contre une des colonnes du lit, et qui regardait Yseult en proie aux crispations les plus violentes, quand il vit le médecin empoigner l’acier froid et bleu. Il crut en sentir les morsures. D’instinct il détourna le visage. Yseult, qui jugea son mouvement, lui dit avec son sourire d’habitude : « Allan, retournez auprès de votre femme. J’ai peur qu’elle ne se réveille. Monsieur est là. Je n’ai plus besoin de vous maintenant. »

Mais Allan refusa de la quitter. Il voulut même la soutenir pendant l’opération cruelle. Il lui fit un coussin de sa poitrine pour sa tête, autrefois si belle et tant aimée, méconnaissable alors de vieillesse hâtive et d’angoisse mais qui, dans ce moment, respirait un si grand caractère que rien ne pouvait l’effacer. Il était cause du mal qu’elle endurait. Il avait remords de chaque douleur. Cependant la tempête était arrivée à son plus haut point d’énergie. Le tonnerre roulait avec un épouvantable fracas… Le ciel entrevu à travers la fenêtre était noir, et le vent et la pluie faisaient rage. Cependant le temps s’écoulait. Les forces d’Yseult s’épuisaient et l’enfant n’arrivait pas. Le médecin, le front gonflé, les veines en saillie, penché jusqu’à toucher de la tête le sein de madame de Scudemor et pâle autant qu’elle, poursuivait son labeur avec une sorte d’effroi de tant de résistance et attaquait de plus en plus vivement l’organisme rebelle… « Eh bien ! Monsieur ? » disait de temps en temps Allan au médecin qui ne répondait pas, qui ne soulevait pas la tête, mais qui la hochait avec