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ton oreiller de mousseline un des soirs de tes cruels jours et ne pas te réveiller le lendemain, et qui ne l’as pas fait, tu aurais droit de me mépriser si je me tuais. Tu es toute ma fierté, Yseult. Je n’en ai plus d’autre que toi.

« Je te comprends, maintenant, Yseult ! je comprends le mal de n’aimer plus… Tu ne me paraissais qu’une femme malheureuse, mais je sais à présent combien tu l’étais. L’expérience, et non tes paroles, me l’a appris. Souffrir, quand on aime, c’est doux et bon, car c’est le bonheur du martyre ; mais souffrir de ne plus aimer, voilà le malheur de la vie ! Mal bien grand, car on meurt d’aimer et on ne meurt pas de n’aimer plus !

« As-tu été comme moi, Yseult ? As-tu voulu aimer encore et as-tu senti que tu ne pouvais pas ? Est-ce là un état qui passe ? En guérirai-je ? dis-le moi. Toi, tu es calme comme la mort, mais est-ce ainsi que ton dernier amour t’a faite ?… Avant d’arriver à cette stupidité de la tombe as-tu désiré d’aimer, regretté d’aimer, mais en vain ? Tu ne me l’as jamais dit, Yseult I Être inerte, mais être, c’est encore souffrir ; mais ne pas vouloir être inerte, se débattre, contre le marbre qui vous monte jusqu’à la poitrine et sentir le marbre plus fort que la vie, quoiqu’il ne puisse pas l’étouffer, as-tu souffert aussi de cela ?…

« Si tu en as souffert, Yseult, tu n’avais pas besoin de lutter sur ma poitrine, il y a deux heures. Tu as manqué à ton expérience. La peur t’a prise comme une femme vulgaire, ô grande Yseult ! Je ne sais quel brute et sceptique instinct est revenu tout à coup t’émouvoir. Toi qui ne peux plus être souillée, toi qui sais que l’âme seule peut l’être, que craignais-tu ? Tu ne croyais donc plus en toi ?… Vois, mes bras n’ont pas achevé l’étreite. Ma bouche n’a