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Il se rapprocha de madame de Scudemor et, la saisissant brusquement à ce corsage qui ne résistait plus comme autrefois mais qui pliait, mol et brisé, il chercha la bouche d’Yseult, avec sa bouche, dans l’obscurité. Yseult avait détourné la tête. Le baiser s’égara dans les cheveux du cou. Allan ne l’y appuya même pas. Avant qu’il eût pu l’y appuyer, il avait appris que ces vains élancements étaient une affreuse ironie, une abominable impuissance, et que des regrets n’étaient pas même des désirs ! Sa dernière tentative pour sortir du vide, même en devenant criminel, avortait, et, redoutant l’indignation d’Yseult qui s’était débattue sur sa poitrine, il se sauva et courut s’enfermer dans la bibliothèque où il ne craignait pas d’être surpris.

Il y resta longtemps en proie à la rage d’un homme qui se révolte contre son impuissance ; il ne sut pas même combien de temps il y resta. La nuit vint. Il n’eut pas conscience de ses ténèbres. Tout à coup, la porte s’ouvrit… C’était Camille, une lampe à la main et en peignoir, gracieuse comme Psyché et triste comme elle, car Psyché c’est l’âme humaine, toute la douleur de la vie !

— Allan, — lui dit-elle en ne le regardant plus, avec ses yeux gonflés et violets, et n’osant plus le tutoyer, — voilà trois heures que je vous attends. Je vous croyais dans le salon avec ma mère ; mais, depuis longtemps, elle est couchée. Tout le monde repose. J’ai couru le château ainsi pour voir ce que vous étiez devenu. Cela ne vous fait donc rien de m’inquiéter ?

Elle était devenue douce, cette violente !

— Pourquoi être inquiète ? — répondit-il durement, quoiqu’il voulût réprimer sa colère. Et elle répliqua, avec une douceur angélique : — Parce que vous ne reveniez pas ! —