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dans le silence du marais, harmonie si résignée, mais si douloureuse ! Depuis quelques jours Camille avait eu la pensée, qui ne viendrait jamais à une femme tendre, qu’elle avait montré trop d’amour à Allan et qu’elle devait exalter le sentiment de son mari en voilant le sien davantage. Pauvre coquette par désespoir elle s’était donc renfermée en elle-même, avec beaucoup de peine, mais Allan n’avait pas pris garde à ce changement dans les manières de sa femme. Tout ce qui l’éloignait d’elle le soulageait trop pour qu’il risquât la moindre observation de nature à faire cesser l’éloignement qui le délivrait de sa présence, et la malheureuse Camille, qui s’était mise à la torture pour que son mari lui adressât un mot plus tendre et qu’il s’occupât d’elle un peu davantage, avait perdu le fruit de ses cruels efforts. « Il ne s’aperçoit de rien, — se dit-elle ; — c’est donc certain qu’il ne m’aime plus ! » et les larmes qu’elle sentait venir lui semblaient le plus pur sang de son cœur. Ce soir, pour la première fois depuis leur mariage, Allan était rentré au salon sans être allé l’embrasser. Cette simple circonstance la jeta dans un véritable désespoir. Il ne faut que le raz du vol d’un insecte pour faire déborder le vase quand il est tout plein.

D’abord ce ne fut qu’une douleur physique vers le cœur, les yeux conservèrent leur sécheresse. Puis il vint deux larmes épaisses et brûlantes, puis, comme elle serait morte si cet état de paroxysme eût duré, les sanglots la prirent, et avec une telle violence qu’elle fut obligée, pour ne pas les trahir, de sortir du salon et de se retirer dans sa chambre. Allan n’en continua pas moins de marcher de son pas monotone. Madame de Scudemor resta dans son attitude. Allan n’avait rien vu, rien entendu. Il avait, en ce