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Camille aimait toujours le sien. Elle n’avait pas, comme lui, cette grande imagination qui n’est qu’une éternelle inquiétude, peut-être l’impossibilité d’aimer longtemps un être fini. Son sentiment, à elle, était d’autant plus profond qu’il était plus étroit. Elle n’avait pas une idée qui ne se rattachât à ce sentiment. Comme la plupart des femmes qui aiment, tout ce qui ne se rapportait pas à son cœur l’ennuyait. Les livres même où elle aurait trouvé l’expression de sentiments analogues au sien, ne lui paraissaient que des distractions insipides ; et si le sentiment dont elle attendait tout ne la rendait pas heureuse, quelle serait désormais sa ressource ?…

Il n’y en avait pas. Elle était mariée. Sa vie était faite. Elle avait épousé celui qu’elle aimait, — qui l’aimait aussi, ou du moins le croyait-elle encore, — qui lui étendait sous les pieds le manteau de velours de sa tendresse comme à la Reine de sa vie. Elle s’imputait donc à tort ses longues et vagues tristesses. Elle en accusait son caractère. Cette âme passionnée aurait voulu une caresse de tous les instants, et elle avait pudeur de ce désir. Que de fois, défaillante d’ardeur et de honte, elle posait sa tête sur l’épaule d’Allan sans lui rien dire ! II l’y laissait, lui, ne se doutant pas que cette femme était bouleversée, la croyant seulement attendrie, et, s’il lui mettait ses lèvres au front ou dans les cheveux, sous ces lèvres, à peine effleurantes, l’admirable femme n’insistait même pas !

Elle ne demandait plus à Allan pourquoi il était triste. Elle aurait eu peur qu’il lui répondit : « Pourquoi l’es-tu, toi ?… » et elle eût été confondue. Cependant chaque jour prononçait davantage son malaise. Elle finit par s’avouer qu’elle était malheureuse et elle pleura,