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ne déposait pas l’horrible secret dans ses morsures, — et, le lendemain, Camille ne devait y voir que la trace d’une nuit de volupté et d’amour.

Heureuse Camille ! elle ne s’endormait pas, et les heures passaient, aussi pleines et rapides pour elle qu’elles étaient lentes et vides pour Allan. Lui, maudissait cette vie si forte qui résistait à la fatigue des transports et de l’insomnie. Il aurait désiré qu’elle s’endormît. Il se serait trouvé délivré et il aurait respiré tout haut. Quand les yeux de Camille, d’un éclat maintenant aussi voilé qu’ils étaient ordinairement brillants, relevaient leurs noires paupières chargées de brûlantes langueurs pour regarder son mari et s’abaisser de nouveau, Allan tremblait qu’ils ne vissent jusque dans son âme. Une fois il éteignit la veilleuse qui, du somno, projetait la lumière sur le lit, et la chambre et le groupe qu’ils formaient, tout disparut dans l’obscurité. Ah ! si Camille, dans cette obscurité, avait passé les mains sur le visage penché vers elle, peut-être y aurait-elle trouvé les froncements de la douleur que son mari lui cachait !

Cette nuit paraissait d’une longueur sans pareille à Allan. Elle lui ouvrait l’insupportable perspective de revenir, au bout de chaque journée, comme un éternel supplice. Il en comptait toutes les secondes avec l’anxiété de l’attente. Mais qu’attendait-il ? Que cette femme s’endormît ? Chétive interruption à la vie ! Le réveil ne ramènerait-il pas l’irrévocable ? Et, tout en se disant cela au milieu des tourments endurés sur le sein de sa femme, il sentait qu’elle le serrait plus étroitement et il lui rendait son étreinte. Qu’elles sont donc impénétrables les six lignes de chair de nos poitrines, puisque les battements de ce cœur