Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuit dans la glace. En un clin-d’œil, sa robe de mariée tomba à ses pieds. Elle en sortit toute bondissante, n’ayant plus que son jupon blanc et son corset, étroite et gracieuse cuirasse qu’elle eut promptement délacée. Allan la regardait, morne, à trois pas d’elle. À chaque voile qui tombait c’était quelque beauté nouvelle qui venait d’éclore, un bras entièrement dénudé, une épaule échappant aux plis dérangés d’une dernière tunique, une rondeur de sein plus trahie. Il la regardait machinalement comme un homme rassasié regarde, d’un air vague et froid, la coupe dont il s’est abreuvé et qu’il a vidée, et pourtant, cette coupe, il ne voulait pas la briser.

 
 
 
 
 

Cependant la tristesse sombre qui perçait au tond de toutes les caresses d’Allan, Camille ne l’apercevait pas. Cette nuit de noces n’était amère que pour lui. Pour elle, ses instincts de défiance s’étaient endormis et l’émotion ne leur donnait pas le temps de se réveiller. Mais, pour une autre que Camille, la figure d’Allan sous le demi-jour de la lampe aurait accusé les angoisses qu’il étouffait. Dans les bras de sa jeune épouse il contractait sa fureur intérieure de ne pouvoir entièrement perdre la raison. Elle, les yeux mi-clos et toute pâmée, la tête en saillie sur l’oreiller tiédi de ses souffles, livrait les merveilleuses touffes de ses épaules à respirer à Allan comme des gerbes de fleurs enivrantes. Le cruel les mordit plus d’une fois avec la rage des désirs trompés… Heureusement, la bouche