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Adorable nuit de noces que celle qui pourrait s’écouler toute ainsi ! Mais de l’amour Allan, depuis longtemps, ne connaissait que les ivresses. Le mariage ne faisait pas refleurir dans son cœur, comme dans celui de Camille, la félicité des premiers instants de l’amour ou une félicité meilleure. Son âme de poète lui avait donc été donnée en vain ! Ce sentiment si fort et si chaste, cette nature dont le charme était non moins grand, ne l’arrachaient pas à ses pensées. Il restait silencieux comme Camille, mais il souffrait. Il songeait à l’autre, — qui comptait sans doute les heures dans l’isolement et dans l’insomnie. Pitié ou regrets il ne voyait plus que confusion en lui-même, et il se demandait si son premier amour n’avait été que mal éteint. En vain se disait-il qu’il voulait aimer Camille. On ne se dit ces choses insensées que quand l’amour n’existe plus ou qu’il va cesser d’exister. L’idée du bonheur retrouvé par elle et qu’il avait peur de troubler, ajoutait encore à son supplice. Pour y échapper, après bien des mouvements en sens divers, il appela la volupté à son aide et sur le cou soyeux de sa femme, satiné davantage par le torrent d’outremer qui y coulait dans le bleuâtre clair de lune, il essaya de réchauffer ses lèvres, froides encore du contact des lèvres d’Yseult.

— C’est toi ! — dit Camille, en lui passant les bras autour du cou, — c’est toi ! et toute la vie ainsi.

Elle n’eut pas la force d’approcher son visage du visage d’Allan, pas la force d’achever la caresse, tant elle était heureuse ! N’était-ce pas un sacrilège à Allan que de rappeler des pures régions de la rêverie et des plus ineffables jouissances cette femme, qui s’y était perdue, pour la faire revivre de la vie terrestre des passions momentanément