Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Camille ne se blessât pas à quelque angle des choses qui allaient l’environner ; pour que les pieds nus de l’heureuse épousée ne trouvassent pas le tapis qui les recevrait d’un tissu trop rude. Elle n’avait pas moins dit, l’infortunée : « mettons bien à l’aise son bonheur ! » tout en opposant peut-être intérieurement sa condition à celle de Camille, tout en évoquant sa détresse passée dans un de ces souvenirs qui survivent à l’oubli de tout et qui, mêlés à tous les actes de la vie, « noircissent chaque rêve », a dit Crabbe, « et empoisonnent chaque prière », mais, hélas ! ni rêve, ni prière, depuis longtemps elle n’en faisait plus !

La fête avait fini de bonne heure aux Saules. On respectait le repos de madame de Scudemor. Les paysans ne prolongèrent pas leurs danses dans la nuit autour du château. Une fenêtre était restée ouverte dans la chambre de Camille et d’Allan. L’air était si doux qu’ils ne songèrent pas à la fermer. La lune commençait à blanchir le bleu de la coupole du ciel, et les accacias du jardin exhalaient leurs parfums d’orange. Ce n’était qu’une belle nuit, mais, pour les âmes tendres, c’était la musique de la nature, — de toutes les musiques celle qui les jette le plus dans les bonheurs insensés de la rêverie et des larmes.

On le sait, Camille n’était point ce qu’on peut appeler « une âme tendre ». Il y avait en elle quelque chose d’emporté, de décidé qui excluait toute idée de tendresse. Mais la sensibilité d’une femme a beau être passionnée, ce n’est jamais comme celle de l’homme qui s’attache davantage au fini, aux arêtes des choses. Dans la sensibilité des femmes il revient toujours comme une plainte charmante, comme une fatigue même d’un bonheur sous lequel elles ploient et qu’elles ne peuvent longtemps porter… Tel était le genre