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— Ne restez pas debout, — lui dit-elle, et elle lui désigna de la main un siège près du canapé où elle se tenait, droite et rectangulaire. La belle tête d’Allan touchait presque à l’épaule de madame de Scudemor, mais il ne pouvait la voir que de profil.

— Je vous ai fait appeler, Allan, — lui dit-elle. — J’avais besoin de vous voir seul, car j’ai à vous parler de choses graves et douloureuses. — Ce début était solennel. Tout en parlant, elle roulait dans ses doigts une fleur d’héliotrope, arrachée sans doute à ceux qui s’épanouissaient dans de longs vases blancs à la fenêtre. Fleur qui n’aurait pas pu nous dire le sentiment qui l’avait détachée de sa tige, dans la crispation d’un doigt distrait. Cette voix si profondément vulnérée avait des accents encore plus voilés que de coutume. Elle retentissait à mille pieds dans la poitrine d’Allan, comme une pierre lancée dans un puits.

— En me quittant si brusquement l’autre jour, en refusant de me répondre, — reprit-elle après un silence, — croyez-vous, Allan, ne m’avoir pas tout dit ?… Croyez-vous même que j’eusse besoin d’une réponse pour tout savoir ! Vous pouvez tromper Camille, mais une femme, et une femme de mon âge, croyez-vous, Allan, que ce fût possible ?…

Elle s’arrêta sans tourner la tête, les cils baissés, et de cette impérissable noblesse dans l’attitude qu’elle ne perdait jamais, roulant toujours entre ses doigts effilés la fleur d’héliotrope qui les imprégnait de ses parfums. Moitié joie de ce qu’elle l’avait pénétré, moitié saisissement de ce qui allait suivre, Allan rougissait jusqu’aux yeux. Mystérieux carmin du sentir, broyé sur on ne sait quelle palette divine,