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le soir avec les tremblements d’une pudeur craintive et des désirs mal combattus. Ce qu’il y avait derrière le rideau de la couche nuptiale, elle le savait, et si elle aspirait à l’heure mystérieuse et sacrée c’était pour être seule avec celui qu’elle aimait, seule et toute à lui, sans avoir à craindre l’entrecoupement d’une caresse !

À la fin, ce moment arriva où les battants d’une porte fermée firent le désert autour d’eux. Ils venaient de quitter leur mère, que la fatigue avait forcée de se mettre au lit. À cet instant où Allan souhaitait une nuit tranquille à celle qu’il abandonnait, sur la couche où il avait veillé à côté d’elle, pour aller veiller avec une autre pendant qu’elle essaierait de dormir, — si toutefois l’enfant qu’elle portait dans son sein n’interrompait pas son sommeil, — il éprouva un si grand trouble que le baiser réservé à la joue il le prit, par un mouvement rapide et confus, au bord des lèvres connues… C’étaient toujours les mêmes, froides et séchées. Mais ce baiser involontaire et hâté, à moitié donné et aussitôt repris, lui causa une impression saisissante et le rejeta dans les pensées que, le matin, il avait essayé d’éloigner.

— Oh ! nous sommes seuls et à nous ! — dit Camille, avec l’ingénuité d’un amour profond, en entrant dans la chambre qu’ils devaient désormais habiter. Madame de Scudemor avait soigné elle-même chaque détail de cet appartement. Tout y était commode, élégant, attestant l’imagination d’une femme qui a connu l’amour et le luxe ouaté qu’il exige. Qui peut dire s’il n’y avait pas eu pour Yseult une douleur attachée à chaque détail de cette chambre, ornée et arrangée par elle ? Mais elle n’en avait oublié aucun. Une pensée cruelle ou triste avait peut-être accompagné chaque soin qu’elle avait pris pour que la félicité de