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guère au dessus d’elles que le cintre du ciel. Allan et Camille les traversaient pas à pas, suivant les chemins étroits que la charrue épargne au bord des champs cultivés. Promenade qui leur rappelait celle d’il y avait près de quatre ans, dans les même lieux. Camille surtout y trouvait un grand charme… Elle se souvenait de son isolement lors de la maladie d’Allan, et le souvenir du mal passé assaisonnait délicieusement les émotions qu’elle recueillait dans son cœur. C’était dans ces champs qu’elle avait emporté son secret d’inquiétude et de jalouse amitié qui présageait si bien l’amour, — qui était de l’amour peut-être, à son insu à elle-même comme à celui de tous… C’était là qu’elle avait séché ses larmes, si toutefois elle en avait répandu… Et elle ne retrouvait pas plus sur la terre rousse du sentier la trace de son petit pied d’enfant, que dans son âme les vestiges de la douleur endurée.

« C’est un pèlerinage d’expiation que cette promenade, Allan, — disait Camille. — Je voulais que le jour où nous commençons d’être inséparables, nous pussions passer ensemble là où j’étais passée seule et malheureuse. Quand tu fus malade de cette chute et de cette fièvre dont tu faillis mourir ma mère m’avait exilée de ta chambre, et c’était ici que je venais attendre la fin de ces jours si longs ! »

Allan pressa la main qu’il avait dans la sienne ; l’heureuse femme crut qu’il la comprenait… Elle vit dans son silence un attendrissement qui n’existait pas. Ses paroles avaient réveillé de dévorants souvenirs dans le cœur de son mari. Il pensait à Yseult et aux soins qu’elle lui avait prodigués. Il se la rappelait comme elle était posée au chevet de son lit, et, par une singulière contradiction, ce qu’il éprouva ressemblait plus à du regret qu’à du remords.