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venir et le plus touchant de leur vie passée. Camille avait pris pour sa couche-bru, comme l’on dit dans le pays, une des jeunes filles qui étaient venues, la veille, lui offrir l’oranger où elle devait cueillir la branche d’usage destinée à son front. Hélas, ce n’était plus un symbole ! Quoique heureuse, la mariée la regarda longtemps avec rêverie, cette blanche fleur qui allait mentir, et, rougissant pour toutes les deux, elle la dissimula pudiquement sous une des tresses de sa forte chevelure. Et c’est ainsi que, d’emblème de l’innocence, la fleur devint celui du mystère que Camille cachait dans son sein.

Jamais mademoiselle de Scudemor n’avait été si belle. Les images du passé se joignant aux idées que faisaient naître les circonstances de ce jour, lui donnaient un embarras charmant, un trouble plein d’ivresse et de langueur, d’ardeurs noyées dans des tristesses plus voluptueuses que ces ardeurs mêmes. Jusque dans sa démarche, il y avait de son âme. De la porte de l’enclos à l’église bâtie au milieu elle s’appuya sur le bras d’Allan, non comme une jeune fille ignorante et timide, mais non plus comme la femme heureuse et fière de l’amour de son époux. C’était quelque chose de l’un et de l’autre de ces sentiments. En la voyant ainsi s’avancer sur le bras d’Allan, un observateur ou un poète, à l’intuition sûre, aurait peut-être soupçonné la position de cette languissante épousée ; mais il n’y avait ni poète ni observateur parmi ces villageois, qui ne savaient pas que, pour le rendre plus enivrant encore, au bonheur actuel de ce jour s’ajoutait celui des souvenirs. Gens candides, qui n’avaient pas réfléchi sur eux-mêmes, et à qui rien n’avait appris qu’avoir été coupable rend plus heureuse, au jour de l’union désirée, que d’être demeurée innocente.