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mer que j’avais ne m’aura servi qu’à souffrir, même après que je l’ai perdue !

Et, voyant que ses paroles de consolation étaient inutiles, Allan abandonna les mains qu’il tenait comme le naufragé qui lâche sa dernière planche de salut.

— Il n’y a rien à faire, Allan, — dit Yseult, en branlant la tête et à qui le mouvement d’Allan n’avait pas échappé. — Vous aussi, vous avez eu pitié de moi comme j’ai eu pitié de vous. Vous voulez me faire croire à un sentiment qui n’est plus, — mais faire croire à un sentiment, c’est le donner. Dieu seul le pourrait, mais non les hommes. Mon pauvre enfant, laissez-moi achever de vivre dans l’isolation de mon âme. Ce ne sera peut-être pas bien long. Surtout, n’essayez pas de me rendre ce que je n’ai plus. N’y avez-vous pas perdu votre amour ? Vous y perdriez votre pitié. Ne vous détournez pas pour moi de l’amour et du bonheur de la vie. Je vous paraîtrais peut-être une ingrate, parce que je n’en serais pas attendrie. Souvenez-vous de l’enfant, mais oubliez la mère. Il n’y a que l’amour qu’on nous donne qu’il n’est pas permis d’oublier. Voilà pourquoi Camille doit vous être à jamais sacrée, même quand vous cesseriez de l’aimer un jour. Allez la retrouver, mon ami, dites-lui que j’ai confirmé le don qu’elle vous a fait d’elle-même et que j’ai reçu vos serments de la rendre heureuse. Chassez de votre front ces nuages qui pourraient l’inquiéter encore. Allez, mon ami, et laissez-moi.

Allan était trop sous le poids de la confidence qu’elle venait de lui faire et des pensées qu’elle avait élevées tumultueusement en lui, pour obéir à cette injonction de madame de Scudemor. Il hésitait et il restait immobile ; mais elle, qui lisait mieux en son âme que lui-même, lui