Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que confuse, prit à ses yeux une netteté souveraine. Il s’envisagea tout entier. Yseult et Camille lui faisaient l’effet d’être deux cadavres au fond de son cœur. Il les vit et se tut, ne niant plus rien. La vérité le domptait enfin, ce fort jeune homme. La hache pouvait redoubler les coups à la racine de l’arbre, il n’en tomberait oiseau ni feuille. L’âme était dépeuplée des derniers doutes et des plus opiniâtres illusions.

Après un instant de silence : — Allan, — continua madame de Scudemor, avec le sourire que Shakespeare donne à la Patience quand elle regarde la Douleur, — Allan, dans quelques jours vous épouserez ma fille. Je ne vous dirai point : Soyez heureux. C’est un mot que je ne saurais prononcer sans mensonge. Mais votre amour, et le sien pour vous, puissent-ils durer longtemps ! Je le souhaite. Maintenant, il vous sera plus facile de ne pas trahir avec Camille ce passé qu’on ne peut pas toujours oublier. Que ce passé demeure un éternel secret entre nous ! Mais il y a un autre secret encore qu’il faut aussi y ensevelir.

Allan la regarda sans comprendre. Elle reprit, avant de lui avoir donné le temps de lui adresser une question :

— Écoutez, Allan ! Quand ma fille, qui dans huit jours sera votre femme, est venue m’annoncer sa grossesse, j’aurais pu lui répondre que j’étais grosse aussi, moi !

Allan fit un bond et s’écria. Mais Yseult posa sa main sur la bouche du jeune homme : — Prenez garde ! — dit-elle, — Camille pourrait vous entendre. Si vous êtes un homme, sachez vous contenir. Voyez, — ajouta-t-elle, en écartant les deux bouts du châle qui se croisaient sur ses genoux, — si j’ai bien gardé mon secret !

Elle était enceinte de huit mois.