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comme on foule aux pieds une misérable affection perdue, — ici où nous voilà, après quatre ans, vous guéri de votre fol amour, et moi sur le point de devenir votre mère. Ce que je voulais, alors, ai-je cessé de le vouloir depuis ?… Ah ! si durant ces quelques années pendant lesquelles j’ai désiré vous épargner des souffrances trop connues, j’avais pu me reprendre à un sentiment, si faible eût-il été, je comprendrais que vous n’eussiez pas osé m’arracher d’un coup une illusion dernière. Mais vous savez, Allan, si j’ai cru une seule fois à vos paroles et si nos liens n’ont pas toujours été flottants.

— Yseult, — lui répondit Allan, — vous êtes la femme la plus sincèrement et la plus simplement grande qu’il y ait… Non, je ne vous jugeais pas commune. Si je ne me confiais pas à vous, c’est que je ne me fiais pas à moi-même. Un premier amour nous laisse dans le cœur de ces vides que le second ne peut combler, des vides et aussi des reproches qu’on se fait, comme si on avait été infidèle ! Je vous évitais, Yseult, comme j’aurais voulu éviter ma conscience, cette conscience qu’on emporte toujours avec soi !

— Dites votre orgueil, mon ami, — reprit-elle, — car l’homme se méprise de ne pouvoir aimer longtemps, pour peu que sa nature ne soit ni légère, ni dégradée. Mais cet orgueil, Allan, deviez-vous l’avoir avec moi ? Ne vous avais-je pas prédit la mort prochaine de votre amour ? Ne vous avais-je pas montré les misères du cœur, si tôt fini, si tôt rassasié, et n’était-ce pas dans le mien que j’étais allée les prendre pour vous les montrer ?… N’est-ce pas en vous parlant de mon néant que j’ai essayé de vous convaincre de l’inanité des affections ?… Mon cœur n’a-t-il pas été dans vos mains ce qu’était la tête de mort dans celles