Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Allan était ému en approchant de cette comtesse de Scudemor qui avait été pour lui Yseult. Elle vit à sa contenance ce qui lui remuait dans le cœur, et elle le fit asseoir sur le canapé à côté d’elle :

— Allan, — se mit-elle à dire aussitôt, — vous ne croyez pas, j’imagine, que je vous appelle près de moi pour vous adresser des reproches. Vous avez aimé Camille ; vous avez été aimé d’elle. Vous l’avez entraînée, vous l’homme, c’est-à-dire le plus fort, et qui, pour cela même, auriez dû la préserver de vous ; mais vous étiez entraîné comme elle. Il n’y a eu en vous ni sang-froid, ni mauvais calcul. Comme je vous sais d’une noble nature, peut-être même avez-vous livré bien des combats à votre amour. Mais vous voyez, mon ami, si les conséquences des passions sont terribles, puisqu’on est obligé de les absoudre !

Seulement, pourquoi avez-vous attendu si longtemps à me tout avouer ? Vous perdiez ma fille aux yeux du monde, si un sentiment de jalousie, que vos lenteurs exaltaient encore, ne lui avait donné une confiance qu’elle n’a jamais eue avec moi. Étiez-vous donc assez orgueilleux ou assez pusillanime pour sacrifier celle que vous aimiez à l’inévitable embarras d’un aveu ? Et pourquoi même cet embarras, Allan ? Vous avais-je donné le droit de douter d’Yseult ?… Si j’avais été une autre femme, je concevrais mieux vos hésitations. Mais ne me connaissiez-vous pas ?… Vous semblais-je vivre sous l’influence des idées ou des sentiments de la foule ? Vous ne vous rappeliez donc pas le passé ? Ce passé n’aurait-il pas dû vous aider à me juger comme j’étais ? Ne vous souveniez-vous donc pas de ce que je vous ai dit tant de fois ici même ? — et du doigt elle indiquait le tapis, que son pied foulait hautainement