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ma pauvre fille ? Je ne l’ai pas fait. Mes torts sont plus grands que les tiens. C’est à toi de me pardonner.

Et cette mère disait cela sans larmes, sans expansion et sans caresses, mais avec une tristesse si morne qu’en l’écoutant le cœur de Camille se fondait… Elle savait pourtant bien, Yseult, pourquoi sa sécurité avait été si grande. Elle n’aurait jamais osé croire qu’Allan eût pu aimer la fille de celle qu’il avait tant aimée aussi, et il y avait si peu de temps ! Sa connaissance des passions ne lui avait rien fait soupçonner ou craindre, et sa divination était en défaut. C’est que les plus chenus d’expérience ont aussi leurs aveuglements, et les passions toujours quelque secret gardé pour plus tard, quand on croyait les leur avoir tous arrachés, et dont la révélation est si souvent inattendue que l’on dirait une perfidie de ce qui n’est pourtant qu’un mystère.

— Rends grâce à Dieu, ma chère enfant, — continuait madame de Scudemor en flattant de la main le contour du visage de Camille, — rends grâce à Dieu de ce que la faute qu’il pardonne, mais que les hommes ne pardonnent pas, peut être cachée à leurs yeux. Dans quelques jours, tu seras madame de Cynthry. Moi, je rends grâce à cette jalousie qui t’a fait m’avertir à temps encore. Tu es bien jeune, ma fille ; tu n’auras pas toujours une mère vieille et séparée du monde. Tu dois y vivre, dans ce monde, comme j’y ai vécu. C’est assez, crois-moi, de la destinée que les hommes nous ont faite, à nous autres femmes, sans être encore à leur merci par les faiblesses de ton cœur !

Quand elle entendit ces paroles, Camille se douta-t-elle que sa mère avait été autrefois malheureuse ? Rendue à sa