Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle était brisée. Elle était heureuse. Oh ! c’en était plus que la nature humaine n’en pouvait supporter à la fois !… Madame de Scudemor essaya de la relever, mais elle s’attacha à ses genoux.

— Laisse-moi là, laisse-moi à tes pieds, ma mère, et pardonne-moi de t’avoir parlé ainsi ! J’étais folle de douleur. Pardonne-moi. Ah ! si tu savais ce que c’est que la jalousie !…

Et elle arrosait de larges pleurs les mains de sa mère, qui lui répondait, avec son sourire défait et vide : — Crois-tu donc que je ne le sache pas ?

Une heure après encore, Camille était assise sur le canapé de sa mère. Soulagée par ses sanglots, elle lui racontait les détails de son amour pour Allan… Cette jeune fille, que la froideur de sa mère avait repoussée, se trouvait presque avoir de la confiance avec elle. Depuis que la colère ne la possédait plus elle avait repris toutes les pudeurs oubliées, rappelé toutes les modestes rougeurs enfuies. Le sentiment de la démarche qu’elle venait d’oser et qu’elle commençait de juger, la couvrait de confusion. Avec ses yeux baissés et les soupirs entrecoupés de son sein, elle ressemblait à une statue de la Pudeur, mais de la Pudeur outragée et souffrante.

— Mon enfant, — lui disait madame de Scudemor, — je ne te demande pas compte de tes combats et de tes défaites. Me garde le ciel d’être dure envers toi, que l’amour a entraînée, quand je suis plus coupable que toi ! N’aurais-je pas dû veiller sur vous deux ? Ne me suis-je pas trop laissé abuser par cette amitié d’enfance, qui cachait le danger d’un amour ? N’aurais-je pas dû te garantir, ou du moins te fortifier contre ton propre cœur,