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de Camille se portaient sur cette glace qui, étincelante, lui renvoyait sa beauté à laquelle sa passion mettait comme un fard de feu et une couronne d’éclairs, et sa mère accablée et flétrie, plus flétrie que l’eau qui stagnait à trois pas dans le bassin de vermeil, image accusatrice d’une jeunesse à jamais tarie. Aussi était-ce un sourire de vengeance satisfaite qui se mêlait aux impudiques aveux de Camille, car elle se sentait la plus forte, car elle se voyait la plus belle ! Et, cette idée l’excitant encore, avec la lâcheté du triomphe qui pousse le pied sur la gorge de l’ennemi abattu, avec cette rage qui poignarde d’un mot et les yeux bouillonnants comme un cratère allumé, elle mit sur l’épaule de sa mère une main presque matricide, et la secouant à la briser :

— Ma mère ! ma mère ! regardez-moi donc ! — lui cria-t-elle, — ne voyez-vous pas que je suis grosse ? Doutez-vous encore qu’il m’ait aimée ?…

Ce fut alors que la comtesse Yseult releva sa noble tête. Elle était toujours impassible, car le seul sentiment de son âme — molécule perdue au sein du bloc opaque — n’avait pas même l’énergie de se faiblement empreindre au visage immuable et glacé. Elle prit lentement la main de sa fille, et l’attirant à elle avec une douceur pleine de force :

— Que tu l’aimes, ma pauvre fille ! — lui dit-elle avec la pitié qu’elle retrouvait en face de toutes les douleurs, — qu’il faut que lu l’aimes, pour parler ainsi à ta mère !

— Et vous ? — répondit Camille, redevenant pâle d’espoir et de joie, — et vous, vous ne l’aimez donc pas ?

— Ah ! l’amour t’a bien égarée, mon enfant ! — reprit madame de Scudemor. Et déjà Camille était à ses genoux.