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son cabinet de toilette et qu’elle en sortirait bientôt. Mais Camille, qui sentait en elle l’impossibilité d’attendre une seconde de plus, se précipita dans le cabinet de sa mère.

Celle-ci était dans tout le désordre du matin, occupée de ces mille soins mystérieux de toilette imposés par son organisation à la femme. Elle fut extrêmement étonnée de voir Camille chez elle à cette heure, et quoiqu’elle sût très bien qu’il n’y avait au monde que sa fille qui pût se permettre de passer le seuil de l’appartement où elle se tenait alors, le mouvement qu’elle fit pour se couvrir de son manteau de nuit trahissait presque de la frayeur. Le mouvement était d’autant plus remarquable, chez madame de Scudemor, que sa lenteur de patricienne ne l’abandonnait jamais. Mais Camille était trop la proie de ses sentiments pour apercevoir en sa mère le premier geste qui ressemblât à du trouble.

— Ma mère, — fit hardiment Camille, — je viens vous dire le secret de ma vie. Vous ne l’avez pas pénétré. Vous ne l’avez pas demandé. Mais il faut que vous le sachiez. Il le faut !

Et il n’y avait rien de tendre dans cette voix qui tremblait. On voyait qu’elle tremblait de colère, d’anxiété, de haine, de tous les sentiments contenus qui frémissaient, dans cette poitrine immobile, comme un vase plein aux mains de qui retient son haleine pour ne pas jeter la liqueur qui va s’échapper des bords envahis et couverts. Ah ! le cœur, n’est-ce pas le vase où vacille notre destinée ?…

Madame de Scudemor était assise sur une espèce de chaise longue en maroquin noir. Elle regarda sa fille, debout devant elle, et dont les yeux, aussi secs alors que les siens, avaient une extrême expression de courroux et