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— Écoute-moi, Allan, il faut que tu ailles tout avouer à ma mère aujourd’hui. Je n’attendrai pas une minute de plus. Hier, comme j’étais auprès d’elle, elle m’interrogea sur ma tristesse, sur l’altération de mes traits avec un coup d’œil qui me fit frémir. Je ne sais pas ce que je lui répondis, tant j’étais troublée ! Il me semblait que son regard ne quittait pas ma ceinture ! Ah ! finissons-en, mon ami, avec ce supplice ! Ma mère nous pardonnera tout et nous serons heureux ! Peut-être n’avons-nous cessé de l’être que parce que nous lui avons caché que nous nous aimions. Tu souris ?… Mais je suis superstitieuse depuis que je souffre. Aie pitié de moi, mais va trouver ma mère, — vas-y !

— Mon enfant, — insista Allan, — ta mère est souffrante, ne crains-tu pas ?

— Ah ! voilà bien des craintes pour elle ! — interrompit Camille avec violence. — Et moi donc, Allan, est-ce que je ne souffre pas aussi ? Est-ce que tu ne m’aimes pas plus que ma mère ? Et s’il y en a une des deux que tu doives immoler à l’autre, est-ce donc moi ?

L’action de la femme offensée était d’une véhémence si grande et imposait tellement à Allan, que lui, naturellement éloquent, ne savait que répondre à cette jeune fille qui le dominait de l’ascendant d’une situation vraie.

— Mais tu veux donc que je croie que tu ne m’aime pas ! — reprit-elle avec un cri désespéré. — Ah ! c’est à genoux que je t’en prie, va trouver ma mère et dis-lui tout ! Je ne quitterai pas tes pieds que tu ne me l’aie promis, Allan. Allan, tu me disais tout à l’heure que j’étais ta femme, mais tu vois bien que tu ne veux pas que je le devienne ! Eh bien, dis-moi : non ! non ! je ne t’aime pas. Ce sera mieux. Mais ne me laisse pas dans ces affreuses