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j’ai toujours sentie en moi. Autrefois, tu ne tournais pas contre moi les efforts que je faisais pour te préserver de ce souffle mauvais et putride. Tu me disais, Camille, « ce sera moi qui te guérirai de ces défiances ». Tu m’avais accepté comme j’étais, et tu voyais de l’amour encore dans ce que tu prends pour de l’indifférence aujourd’hui… Je me suis trompé. Je t’ai entraînée dans ma destinée. Je t’ai rendue toute semblable à moi. J’ai terni ton bonheur et flétri toutes tes facultés d’être heureuse. J’aurais dû te fuir et aller mourir de mon amour loin de toi. Mais c’est toi encore qui m’as retenu ; toi qui m’as dit : « reste, mon frère, et je t’aimerai » ! et je suis resté, n’écoutant plus, n’entendant plus que cette enivrante promesse. Mais j’étouffais tout dans l’amour que tu m’avais promis. Pourquoi donc, maintenant, es-tu moins généreuse, ma Camille ?… Pourquoi accuses-tu mon amour parce que je ne suis coupable que de trop d’amour ?…

Elle l’écoutait, tout en pleurs mais tout en sourires. Il l’avait prise à la taille d’une main, et de l’autre il l’avait saisie aux épaules : — Oh ! promets-moi, — lui disait-il avec effusion, — promets-moi que tu n’auras plus de ces absurdes injustices qui nous font souffrir tous les deux ! Promets-moi que tu ne flétriras plus ton visage chéri de tes larmes ! Promets-moi que tu ne douteras plus de celui qui t’adore ! Jure-le-moi par notre amour !

— Je te jurerai tout ce que tu voudras ! — répondait-elle, — je te croirai, toi, mon Allan, et je ne me croirai, moi, jamais plus. Mais promets-moi à ton tour de ne plus mentir désormais, de ne plus avoir l’air de la contrainte avec ta bien-aimée ! Eh bien, si tu es triste, sombre, affligé, que sais-je ? bizarre et injuste même, ô mon ami, je t’en conjure, ne cherche pas à me le cacher ! Je ne puis vivre sans