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seyant à côté d’elle, — dis-moi, ces défiances insensées troubleront-elles toujours ta raison ?… Ne seras-tu jamais lasse d’être injuste ? Je ne te parle pas de ma vie que tu déchires et de mon amour que tu offenses, mais n’auras-tu jamais pitié de toi-même ? Te verrais-je toujours te faire des maux cruels et irréparables ?… Je ne t’aime plus ! Comment donc veux-tu être aimée ? Tu n’es donc plus ma Camille, ma sœur, ma fiancée, ma femme ? Ah ! regarde-moi donc, cruelle fille, et répète-moi que tu es sûre que je ne t’aime plus !

Elle le regarda comme il le voulait. Il y avait tant d’amour dans ses yeux, il s’était trouvé si attendri en la voyant pâle et si horriblement bouleversée des larmes essuyées ou contenues, qu’à le regarder Camille oublia ces sarcasmes du cœur, morsures innocentes de la victime au talon invulnérable qui la broie.

— Oh ! si tu m’aimes, pourquoi me rends-tu malheureuse ? — reprit-elle avec un reproche plus doux. Mot trivial, mot qu’elles ont dit toutes ! cri universel qu’elles ont toutes poussé, ces égoïstes de bonheur qu’on appelle les femmes ! gémissement de la passion qui saigne. Hélas ! Allan ne pouvait-il lui adresser la même question ?…

— Ma Camille, — répondit Allan, — ce n’est pas moi qui te rends malheureuse, c’est toi-même. — Il n’osait pas appuyer, car un tel mensonge l’effrayait. — Tu connais mon caractère sombre. Tu sais que mon imagination a toujours attristé l’avenir et me fait douter du présent ; pourquoi donc me reproches-tu de te fuir quand j’essaye de te cacher mes tristesses, à toi, jeune et belle créature, qui est devenue défiante et malade à m’aimer comme si je t’avais apporté dans mes baisers la contagion de cette maladie que