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de la famille (qui a aussi les siennes, comme la société) ne les atteindront pas un jour et que, semblables à de nouveaux autochtones par la mort de ceux qui leur donnèrent la naissance, ils n’auront grandi qu’en vertu de la force seule qui était en eux. Madame de Scudemor n’était pas exempte de cet intérêt vulgaire, mais était-il le seul qui entourât Allan à ses yeux ?

Eh bien, non ! ce n’était pas le seul. Il en était un autre, plus profond et plus tendre, et qui prenait sa source dans le sentiment qu’elle inspirait ; car Allan, quoique élevé par elle, n’avait pas trouvé, dans cette communauté de la vie partagée dès l’enfance, l’accoutumance préservatrice qui sauve les mères et les sœurs de l’amour incestueux des cœurs pubères… Le sentiment d’Allan pour madame de Scudemor, cette grande personne si grave et si imperturbablement maternelle, il l’avait puisé et développé sans défiance dans les plus filiales et les plus chastes familiarités. Seulement, pour peu qu’elle eût la vue perçante et l’intelligence acquise des passions, ces sœurs jumelles de la souffrance dans nos âmes, elle avait dû saisir dès leur origine les confuses ardeurs et les ferments de toute sorte qui s’agitaient laborieusement dans Allan. Il y a des êtres d’un triste privilège qui commencent leur martyre d’hommes de bien bonne heure ; les premiers que le Maître ait pris, sur la place publique de leur oisive enfance, pour les mener travailler à la vigne de la Douleur. Ils en reviennent le soir tout pâles, la bouche malade et le regard obtus, et les parents croient que ce sont les ennuis de l’école qui les changent ainsi. Leur idiote tendresse ne comprend pas ce qui se passe dans ces âmes trop avancées. L’idée en apparaît-elle un jour à leur