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XI

L’état de madame de Scudemor devenait de jour en jour plus inquiétant… Il semblait qu’un mal inconnu la rongeât, que la vie se retirât d’elle. Déjà le torrent montrait le fond du ravin. Combien de temps faudrait-il pour qu’il fût séché tout à fait ?… Quand on regardait ce visage livide où les yeux, dans les mille rayons qui s’y éteignaient, n’avaient plus conservé au centre de leur noirceur mate qu’une morbide étincelle, il était aisé d’apercevoir une autre empreinte que celle de la vieillesse, une main non moins inexorable, un travail plus rapide que celui du temps. La mort qui l’avait envahie affection par affection, et de si bonne heure, — qui l’avait laissée debout et vivante au physique après l’avoir frappée au moral, — la mort revenait-elle mettre le corps au niveau de l’âme ? Chose grande à voir ! mais qui la voyait au château des Saules ? Elle ne se plaignait pas. Elle n’avait pas même une lassitude dans les plis qui lui labouraient le front. Et, d’ailleurs, Camille et Allan pouvaient-ils regarder autre chose que dans eux-mêmes ? N’avaient-ils pas de ces préoccupations d’autant plus exclusives qu’elles sont plus douloureuses ? Quand la vie intime est douce et bonne, déjà elle concentre ; mais quand elle est faussée,