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l’autre. Position mixte et dangereuse, comme le sentiment qu’elle créait et qu’un lien ne confirmait pas… Du reste, avec Allan et même avec Camille, la comtesse Yseult se montrait peu affectueuse. Elle n’était qu’aimable. Son caractère semblait se refuser à toute espèce de démonstration extérieure. S’il en avait été autrement, peut-être ses manières, qui contrastaient naturellement d’une façon piquante avec le caractère véhément de sa physionomie, auraient-elles perdu de leur charme ? Mais aussi voilà pourquoi les âmes vives, les natures enthousiastes la croyaient égoïste. Jugement à faux de tous ces esprits qui s’élancent à tire d’ailes ; méprise ordinaire de ces mains impatientes d’un clavier !

Pour revenir à Allan, madame de Scudemor comprenait-elle bien le sentiment, ondulation sereine et douce, qu’elle avait pour lui ?… Un sentiment se compose souvent de tant de choses dans nos âmes, de tant d’imperceptibles subtilités, qu’on s’étonnerait parfois de quels brins de paille cette merveilleuse trame est faite au dedans de nous, si on les montrait séparés. Cette mystérieuse trame, qui se tisse silencieusement et sans que nous nous en doutions dans nos cœurs, madame de Scudemor savait-elle de quels fils déliés elle était faite dans le sien ?… Sans doute, le fait de la naissance d’Allan et de la mort de sa mère avait été la cause première de l’intérêt qu’elle portait au jeune de Cynthry. Le monde est stupide quelquefois, et même ceux-là qui, comme le monde, s’abusent le moins sur la réalité des choses et sur leurs apparences menteuses. Trop souvent on se passionne pour ces enfants à qui un père ou une mère ont manqué de bonne heure. On les croit à plaindre parce que les douleurs