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douce ; l’air en devint un bain et les lointains du marais nagèrent et se fondirent dans un bleu lumineux qui les inondait. Mille chants d’oiseaux vibraient confusément dans l’atmosphère. Les hirondelles à la gorge nitide et aux ailes plus foncées que l’azur du ciel, croisaient leur vol jusqu’aux surfaces ébranlées de ces mares, qui n’étaient plus que des ovales de vif argent, encadrées par les herbes qui commençaient de reparaître ; et la surface unie de cette eau qui se retirait de partout, ne ressemblait plus qu’à une glace brisée en mille morceaux, épars et étincelants. Les moineaux, tout frissonnants dans leur plumage gris-fauve de l’hiver auquel ils avaient échappé, s’abattaient aux murs des terrasses sur les bords des vases de granit, que le soleil semblait remplir d’un fluide d’or, comme s’ils avaient dû y boire la vie ! Souvent, à l’extrémité du marais, un rayon de soleil entr’ouvrant la masse des nuages ruisselait au cintre des lointains comme l’écume radieuse d’un flot perdu, et, se déroulant en vagues de lumière d’un bout à l’autre de l’horizon, faisait saillir dans sa lueur courante les accidents si peu variés du paysage, — quelques saules circulaires au bord des mares, ou quelque rideau diaphane de peupliers rendu bleuâtre par la distance… Ces premiers beaux jours, Allan et Camille les virent arriver avec une joie qui n’était pas seulement l’enchantement que devait leur causer la nature transformée par le printemps. Pour eux, il y avait plus que ces impressions printanières. Il y avait enfin de pouvoir sortir de l’étroit espace d’un salon ! Sous les massifs du jardin, dans les mille détours du taillis, ils ne craignaient pas que madame de Scudemor, toujours souffrante, vînt couper par la moitié une caresse trop longue. Ils sont si désespérants