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ce bonheur il ne s’élevait pas une apparence ; mais tout ce qu’une femme aimée peut se promettre de félicités, elle les embrassait dans son cœur. Allan l’aimait plus encore depuis le jour où ils avaient appris qu’ils n’étaient pas seulement frère et sœur. Jamais, quand il était le plus morne et le plus découragé, il ne lui exprimait que de l’amour. On aurait dit qu’il voulait oublier dans les caresses ce qui faisait ombre dans sa pensée. Mais il ne les implorait jamais davantage qu’à ces instants où elle lui parlait de l’avenir et que, de sa voix de vierge et d’amante, elle l’entretenait des images du bonheur domestique, des joies de la mère venant augmenter celles de l’épouse, de tout ce qui devance la vie et la surpasse dans les épanchements de l’amour, — car qui sait si tous ces poèmes de bonheur ne sont pas plus beaux que le bonheur même ?… Il aurait voulu vivre comme de vive force ces temps heureux qui ne viendraient pas, ou bien la dédommager des espérances auxquelles elle se fiait trop et qui allaient bientôt la trahir. Et Camille lui savait gré de cette foi dans le bonheur qu’elle pouvait lui donner, et, parce qu’elle en était heureuse, elle l’aimait encore davantage… Ainsi dominés, entraînés par le sentiment le plus irrésistible, ils s’abandonnaient et se laissaient vivre ; elle parfaitement heureuse, lui déchiré, misérable, mais ne pouvant se détacher de cette jeune fille qui lui avait donné de l’amour quand il avait tant souffert de n’en pouvoir inspirer.