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cher Allan ! Je compte les heures qui me séparent de toi. Il y a de longues bandes blanches à l’horizon. Le jour se fait de plus en plus. C’est à sa lueur que je t’écris ces dernières lignes. Hier je te paraissais souffrante et abattue. Tu m’en exprimais ta tendre inquiétude. Aujourd’hui, si je suis plus pâle et plus défaite, mon bien-aimé, ne t’en inquiète pas. Je dépose dans ton cœur le secret de ma pâleur et de ma nuit. Tout à l’heure, je viens de me regarder dans la glace. Mes yeux sont enflammés et mes joues livides, mais il me semble qu’on voit à travers mes traits fatigués que ce n’est pas la souffrance qui les altère ; et toi, Allan, tu ne t’y méprendras pas ! »

Allan ne s’étonna point de cette lettre. Il n’ignorait plus quel foyer de passion renfermait le cœur de Camille. L’épouvante qui l’avait saisi à la première lettre qu’il en avait eue ne recommença pas. Les plus lâches finissent par ne plus trembler. À regarder longtemps le danger qui avait effrayé d’abord l’âme ne remue plus, mais ne la croyez pas plus forte. Elle est aussi faible que jamais. Avoir peur, c’est être actif encore, et le dernier pas dans la dégradation c’est la passivité. Cette lettre de Camille consternait Allan.

Son bonheur, son pur bonheur d’être aimé d’elle, venait d’expirer dans la première sensualité de la caresse… Ce qui était pour Camille l’ère d’une vie nouvelle, avait été pour lui un cruel déboire. Il reconnut qu’il s’était trompé. Il s’était imaginé qu’il pouvait vivre auprès d’elle comme auprès d’une sœur ; que son amour serait comme un sanctuaire où les émotions de la nature passionnée de Camille viendraient s’épurer. Il demeurerait — croyait-il — ce qu’il avait été pour elle jusque-là. Pauvre dupe, qui pouvait rire comme rient les coupables de la comédie qu’ils se sont