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calmer mes agitations intérieures ? Tu as pu causer avec ma mère. Tu es un homme, toi ! Mais moi, je me taisais et je n’osais te regarder.

« Je ne me suis sentie soulagée que quand j’ai été dans ma chambre. Oh ! du moins j’ai pu me livrer, sans témoins, à l’impétuosité de mes souvenirs ! Quand je te dis que je suis folle, je ne te trompe pas, Allan. Je me suis jetée sur mon lit comme je me serais élancée à ton cou. J’ai trouvé sur mon oreiller la trace du parfum de mes cheveux. Croirais-tu que cette faible odeur respirée, cette odeur qui est la mienne et que j’y retrouve tous les soirs, m’a jetée dans une langueur inouie ? J’ai été obligée de m’arracher de ce lit pour ne pas m’évanouir, et je suis allée me mettre à la fenêtre. Il faisait froid. Les étoiles dardaient leurs pointes dans l’air pénétrant. Eh bien, je n’ai rien senti de cette piquante nuit, et pourtant j’étais tête nue, sans boa et sans châle, et ma robe était dégrafée. J’ai joui avec délices, et pour la première fois, de cette nature d’hiver qui m’a toujours serré le cœur à regarder. J’en ai joui comme d’une soirée de printemps ! Ô mon ami ! quelle puissance as-tu donc sur Camille pour ainsi tout changer, autour de moi et en moi-même ?…

« Je suis restée longtemps les yeux fixés sur la fenêtre de ta chambre, où j’apercevais de la lumière. J’ai pensé que tu m’écrivais alors, et cette idée m’a fait interrompre ma rêverie pour aller t’écrire aussi, — pour aller t’écrire que je t’aime, car pour ce qui est dans mon cœur, je ne saurais te le confier, ô mon tendre ami ! Tâche de le deviner, si tu peux… Mais, hélas ! j’étais trop émue. Il m’a été impossible de t’écrire… Même te dire que je t’aime, je ne le pouvais pas… Ô Allan, as-tu été ainsi ? As-tu passé la