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reprit-elle avec un sourire lent et remerciant. — Mais…

— Mais ?… — interrompit Allan.

— Mais, comme tu le dis, je me sens abattue. Je languis de t’aimer et j’en voudrais vivre.

Ils se prirent les mains ; elles étaient brûlantes toutes les quatre.

— Oh ! Allan, — dit-elle en levant vers lui ses grands yeux noirs, fatigués mais ardents, sphères de flamme dans leur orbite cernée, — pourquoi donc suis-je triste comme toi, moi qui suis faite, dis-tu, pour être heureuse ?… Ah ! vraiment, je commence à croire que le cœur est trop petit pourtant d’amour. Un grand dévouement me soulagerait.

— Il n’y a que la mort qui nous soulagerait, — dit Allan ; mais elle ne vit pas le sens de ces paroles. — Veux-tu mourir avec moi, Camille, puisque nous ne pouvons plus porter le poids de notre bonheur ?

Chose admirable que l’amour ! Cette enfant, qui palpitait de vie, se mit à sourire suavement à cette pensée de la mort comme on sourit à une jeune amie.

— Mourir ? Oui, pour toi ! mais non avec toi ! — dit-elle. — Oh ! oui, mourir pour toi, je le voudrais ! Tu as trouvé ce qu’il me faut, Allan.

— Pourquoi pas ensemble, ma sœur chérie ? — reprit-il.

— Parce que, — répondit-elle en répandant mille éclairs sur le pauvre cœur humain, sans qu’elle y pensât, — parce que mourir ensemble n’est pas se dévouer ; parce que ce serait à recommencer, s’il y avait encore de l’amour de l’autre côté de la tombe. Ô mon ami, ce n’est pas de repos que j’ai soif, mais de sacrifice.

Elle demeura quelque temps comme si elle réfléchissait. Allan aussi. Et ces enfants amoureux étaient graves