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matin du jour suivant. Étaient-ce ces insomnies continuelles qui avaient battu si profondément les yeux de Camille ? Mais un cercle violâtre les entourait. On eût dit un soleil d’été embrasant une masse de nuages sombres. Pour qui l’aurait bien observée, elle était plus abattue que triste. Elle avait la double lassitude du bonheur et de l’innocence, et, de ces deux fatigues, la plus grande en ce moment ce n’était pas celle du bonheur !

Allan regardait aux yeux de Camille cette trace meurtrie d’une souffrance et d’une fatigue secrète un soir qu’ils étaient seuls, par un de ces hasards qui s’offraient à eux quelquefois. L’hiver alors tirait à sa fin, et le jour était haut au dehors à cause de la transparence de l’atmosphère par le temps de gelée qu’il faisait… Dans le bleu extrêmement clair du ciel, des étoiles, qui semblaient plus petites qu’à l’ordinaire, étincelaient aussi plus blanches et plus acérées que de coutume. Une lune amincie y glissait un croissant diaphane, comme une moitié de bracelet, brisé et perdu. Le marais, tout inondé encore des débordements de la Douve qui peu à peu se retirait, reflétait le calme du ciel, et les saules, dont les branches droites ressemblent à une chevelure de femme soulevée par le vent, étaient couverts de givre et de mille cristallisations capricieuses. Paysage fantastique, aperçu à travers le voile de vapeurs que la chaleur du salon tirait sur les vitres des fenêtres, et qui avait cette gaîté des gelées blanches, espèce de sourire de l’hiver lorsque l’air est fin et sonore.

— Ne souffres-tu pas, Camille ? — demanda Allan à la jeune fille, — je te trouve changée et abattue depuis quelques jours. Qu’as-tu donc, ma sœur ?

— Rien. Je ne souffre pas physiquement, du moins, —