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tout l’homme qui est heureux. Le rayon d’or ne s’arrête pas seulement aux âmes, il pénètre au fond de nos poussières et les divinise, — mais, hélas ! il ne s’en retire que souillé. Le mysticisme n’est possible qu’un instant dans les sentiments de l’homme et de la femme, et c’est un mensonge pour peu qu’il dure. « Mon ami, — dit un jour Camille à celui qu’elle n’avait appelé si longtemps que son frère, — ma mère est de trop à présent. Nous ne sommes pas assez souvent seuls, et il nous faut trop renfermer ce que nous avons à nous dire. » Allan le trouvait comme elle, mais il leur était impossible d’éloigner madame de Scudemor. Le printemps, dont ils approchaient chaque jour davantage, leur donnerait — espéraient-ils — une liberté plus grande. N’auraient-ils pas le prétexte de mille promenades ? Et quand on les croirait dans des directions différentes, ne pourraient-ils pas se rejoindre, protégés qu’ils seraient par les arbres du jardin ? Mais, en attendant, il fallait se contenter de quelques mots bien tendres à la dérobée, et retenir leurs larmes de bonheur et l’amour qui les oppressait. C’était difficile. Leurs jeunes organes en auraient plutôt éclaté. Ils résolurent du moins de s’écrire, chaque soir, ce qu’ils ne se seraient pas dit dans la journée. Un très beau Burns, le poète favori d’Allan, fut l’endroit où ils déposèrent leur correspondance. Ce livre était placé dans la bibliothèque où madame de Scudemor n’entrait jamais.

Ce chétif dédommagement les fit vivre quelque temps encore. Ils étaient bien fous ou bien sublimes, mais c’était toujours le frère et la sœur ! C’était toujours, du côté d’Allan, la pureté de l’amour mystique, le plus beau poème que l’imagination chantât dans son cœur ; du côté de Camille, l’ignorance de la vierge à sa première pensée. Quoi-