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VI

camille à allan

« Nous nous aimons trop ! as-tu dit. C’est ce qui trouble notre vie jusque-là si bonne, si douce, si heureuse ! C’est ce qui me fait cacher des larmes maintenant ! C’est ce qui a rendu ces trois jours si tristes ! Nous nous aimons trop ! Ah ! mon frère, pouvais-je croire t’aimer jamais assez ?

« Je t’aimais, et c’était ma joie, ma vie, toute ma destinée. Va ! je sens que je t’aime encore, que c’est ma destinée toujours, mais pourquoi n’est-ce plus ma joie ? Pourquoi cet amour qui me faisait si doux à l’âme, à présent m’y fait-il amer ? Tu n’as pas changé. Je ne suis pas changée. Rien n’est changé autour de nous ; pourquoi dans nous tout n’est-il plus de même ? Nous nous aimons trop ! Y penses-tu, fou ? Trop s’aimer, est-ce possible ? Trop s’aimer empêcherait le bonheur, quand s’aimer tant rendait si heureux ? Tu t’es trompé, Allan. Tu n’y es pas, mon frère. Le bonheur, s’il faisait souffrir, ne serait plus le bonheur ; et, sans renier ou l’un ou l’autre, il n’est pas plus permis de dire : trop de bonheur, que trop d’amour !

« Le bonheur ! Oh ! dis, le sens-tu comme moi ? En as-