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la peur d’une réponse qu’elle implorait toutefois. — Toi, mon frère aîné, tu ne sais pas non plus ?…

— Si ! — répondit brusquement Allan, puis il s’arrêta, et, se rejetant tout à coup en arrière devant ce qu’il allait révéler :

— Dis-le ! — reprit-elle, avec un de ces regards qui font tomber de l’arbre le rossignol sur l’herbe où l’attend le serpent, et un secret des lèvres d’un homme au sein d’une femme.

— Eh bien, ma sœur, — dit Allan vaincu, après une pause, — je crois que nous nous aimons trop tous les deux !

La lueur formidable de ce mot éclaira-t-elle tout à coup le fond du cœur de Camille ? Vit-elle à nu sa misère ?… Le passé réveillé à cette suprême parole lui montra-t-il l’avenir qui n’était pas encore ?… Comprit-elle ?… Ou chercha-t-elle à comprendre ?… Toujours est-il qu’elle n’eût pas courbé la tête avec une consternation plus grande et un silence plus atterré, quand elle eut compris…

Madame de Scudemor rentra et, se replaçant sur sa causeuse : — Qu’est-ce donc que vous faites là-bas, mes enfants ? — dit-elle avec sa grâce tranquille.

— C’est Camille qui s’est trouvée mal de la chaleur de l’appartement, — répondit Allan. — Elle s’est éloignée du feu. Mais c’est passé maintenant.

— Est-ce bien sûr ? — dit madame de Scudemor en fixant Camille avec un intérêt aimable. — Veux-tu qu’Allan ouvre une fenêtre, si tu as besoin d’air ?

— Merci, maman, — fit Camille, — je suis tout à fait bien maintenant, — et elle reprit son ouvrage. Allan, que la comtesse n’interrogea pas sur sa sortie du salon, se plaça