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un de ces larges pleurs qui coulent et lavent le cœur et le visage comme un flot de délices divines ; mais un de ceux qui viennent seuls, rares et brûlants… Allan ne demanda pas pourquoi cette larme. Il le savait.

C’était fini, déjà fini ! Cette tristesse ne dura que le temps que met une larme à sécher. Camille reprit son travail suspendu, Allan la conversation interrompue, sans un mot qui eût trait à cette sensation inconnue qui les avait saisis en même temps, et ils atteignirent, front contre front et dans les épanchements de la causerie, la fin du jour, à cette embrasure, comme si rien de solennel ne se fût passé tout à l’heure entre eux !

Lorsque la nuit fut tout à fait venue, Allan sortit de l’appartement. D’ordinaire il se plaçait autour de la table à ouvrage, qu’on approchait de madame de Scudemor, et, à la clarté de la lampe, il dessinait quelque feston pour Camille. La veillée se prolongeait ainsi jusqu’au moment où la fatigue contraignait la comtesse à se retirer. Alors, on dosait la journée par un bonsoir, muet résumé de toutes les tendresses de la journée, et on se couchait avec la perspective de recommencer le jour du lendemain à peu près dans les mêmes termes que celui de la veille, — routine qui n’ennuyait pas parce qu’elle était l’unité d’un sentiment adorable ; parce que le bonheur, quand il est profond, est monocorde comme le cœur et comme la pensée.

En vain Camille regarda-t-elle plusieurs fois vers la porte avec impatience. Allan ne revenait pas. Où était-il ?… Il n’avait pas l’habitude de se retirer à cette heure. Une inquiétude vague la prit. Elle n’en pencha que plus obstinément le front sur son ouvrage. Inquiétude insensée, car