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sentiments dont ils sont l’objet acquièrent de véhémence. On se vante d’un caprice. On se tait d’une passion. Est-ce conscience de soi ou lâcheté ?… Hélas, peut-être l’une et l’autre. Allan n’eut point la vanité de penser juste sur le compte de Camille. Il l’admira comme il l’aimait. Mais il ne chercha pas plus le secret de sa beauté qu’il n’avait cherché à approfondir son amour.

Dans le tous-les-jours de la vie, Camille était sérieuse et parlait peu. Autant son enfance avait été prise de rires fous et de gaîtés fougueuses, autant sa jeunesse était grave. Vous vous le rappelez ? La souffrance lui avait ôté de bien bonne heure ces élancements de vivre qui ne sont qu’un mouvement impétueux dans la nature spontanée des enfants, mais, une fois partis, ces élancements ne revinrent plus. Quand la souffrance fut disparue, le bonheur la concentra en elle-même encore davantage. Si elle eût eu une mère comme toutes les autres jeunes filles, si elle fût allée dans le monde, elle n’eût probablement pas été moins vive dans ses gaîtés que les jeunes personnes de son âge. Elle eût rappelé les fougues de l’enfant dans les fougues de la femme entraînante, mobile, passionnée, spirituelle. Elle eût eu de soudains vouloirs, bien absurdes et bien aimables, de ces éclats d’harmonieux gosier, couronnés de trente-deux perles fines dans un rire d’un audacieux abandon, et elle se fût jetée aux impressions extérieures pour lesquelles surtout elle était faite. Mais, dans la solitude et près d’une mère qu’elle craignait malgré la douceur de ses manières, déjà rompue aux mensonges d’un sentiment blessé, elle avait pris des habitudes de silence et de retenue et retourné sur elle-même toute l’activité de son âme. Et d’ailleurs, elle était heureuse ! Vaste mot qui répond à tout. Quand