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bonnes que quand elles n’ont aucun des caractères positifs et dévorants des passions.

Camille, qui avait aussi du passé, — du passé qu’elle devait retrouver plus tard, — se livrait alors sans arrière-pensée au bonheur d’aimer et d’être aimée. La sensibilité que la comtesse de Scudemor n’avait pas voulu développer en cette enfant, se répandait alors sur Allan, comme un torrent qui cherche à se creuser un lit. Dans la pénurie du sentiment maternel, Camille avait toujours aimé exclusivement Allan, mais son affection ressemblait peu à ce qu’elle était devenue depuis qu’elle en avait trahi le secret. Les femmes ont un tel besoin de bonheur, qu’elles résistent à leurs plus impétueux sentiments quand elles n’ont pas la certitude que ces sentiments sont partagés. Leurs combats cachent une faiblesse encore. Mais quand le doute n’existe plus, alors elles s’élancent, âmes rapides, de toute la force des besoins de leur cœur, à ce sentiment qui les entraînait déjà, et leur amour augmente de ce qu’il devient intrépide.

Camille s’était laissée emporter au sien avec l’entier oubli de tout ce qui n’était pas ce sentiment… Il était si grand et si profond que pas un désir ne s’y mêlait. Il se suffisait à lui-même, comme l’Être, comme Dieu, dont cet amour qu’on n’a qu’une fois, mais que tous n’ont pas, est la plus fidèle image. Elle était vraiment heureuse ! Incroyable magie du cœur, elle était heureuse dans cette solitude des Saules, — pendant un hiver si triste, — cette mademoiselle de Scudemor qui avait été mise au monde pour éclater de beauté et de fascinations de toute sorte, dans ces salons où son imagination l’appelait et dont elle eût été la souveraine de droit divin ! Elle qui était née impératrice, elle à qui la chambre d’une malade convenait